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Sanlé Sory par Florent Mazzoleni.


Sanlé Sory. Autoportrait. Courtesy of the artist & Florent Mazzoleni. theMatter Dak'Art OFF2018.

Ibrahima Sanlé Sory commence sa carrière photographique à Bobo-Dioulasso l’année où son pays, la Haute-Volta, obtient son indépendance de la France en 1960. Originaire du village de Naniagara, proche de Banfora, dans la région des Hauts-Bassins, il arrive à Bobo-Dioulasso à la fin des années 1950. Jeune apprenti auprès du photographe ghanéen Kojo Adomako, il officie d’abord à la chambre, avant d’apprendre à développer et à tirer, puis de passer au format 6x6, comme la plupart des photographes africains de sa génération.

Son cousin Drissa Koné, auquel on doit aussi la formation de l’orchestre Volta Jazz, l’aide à lancer sa propre affaire, qu’il ouvre au printemps 1960 quelques mois avant l’indépendance du 5 août 1960. Baptisé Volta Photo, ce studio devient un lieu privilégié de l’évolution de son pays et de sa ville, alors capitale économique et culturelle de la Haute-Volta. Les photographies de Sanlé Sory expriment la collision frontale opérant alors entre la vie moderne et les traditions rurales de la région des Hauts Bassins. Témoin privilégié de cette évolution et des années d’indépendance, il travaille sans relâche à documenter le quotidien des habitants de Bobo-Dioulasso.

Photographe investi dans son travail, il suit à la lettre sa devise selon laquelle, « quand on aime quelque chose, on se donne totalement à sa passion ». Il conjugue à la fois le reportage, l’illustration de pochettes de disque, les images officielles à ses portraits posés en studio. Ses clichés en noir et blanc illustrent l’euphorie de décennies insouciantes au cours desquelles la condition sociale n’a que peu d’emprise sur l’allégresse d’une jeunesse en pleine émancipation.

Ses images montrent la quête de cette jeunesse parfois déboussolée mais toujours allègre, confrontée à l’irruption frontale de modes de vie modernes. La fantaisie, la candeur et l’excentricité s’invitent au quotidien dans les poses, les regards ou les tenues de la jeunesse saisie par Sanlé Sory. Les attributs de cette jeunesse se traduisent par des t-shirts, des transistors, vélos, scooters ou autre moto, jouets en plastique, des talons compensés, du maquillage, un téléphone, des pots de fleur, des disques vinyles ou une guitare, autant d’éléments renvoyant à une modernité élusive.

Il compose des séries entières autour de ces éléments, comme autant de signes qui affirment une personnalité ancrée dans son époque.

Toute la ville, des notables aux garçons des rues, des pieux musulmans aux sœurs catholiques franchit alors la porte du Volta Photo pour prendre une pose photographique moyennant une somme modique. Les tenues traditionnelles, les coiffes et les tenues de cérémonie sont également présentes dans ces images qui échappent à toute forme de normalisation. Les soirées dansantes, les poses farfelues, timides ou candides ont les faveurs de l’objectif de Sanlé Sory. Le noir et blanc sublime cette époque, avant que le format 24x36 et les pellicules couleur ne viennent accentuer ce que William Eggleston qualifie de « forêt démocratique », soit une dilution infinie du regard photographique dans l’espace public.

Estampillées Volta Photo, ses images illustrent cette effervescence sociétale et culturelle des premières décennies voltaïques dans sa région d’origine. Heureux, libres ou insouciants, ses sujets évoquent une allègre insouciance. La jeunesse urbaine s’affranchit peu à peu des carcans d’une société voltaïque encore très rurale. Photographe de studio démocratique, Sanlé Sory demande cent francs pour un portrait, ce qui en fait l’un des artisans photographes les plus prisés de la ville. Il peut utiliser jusqu’à cinquante pellicules quotidiennement, au studio ou en soirée.

Ouvert dès l’aube, son studio fonctionne jusqu’à tard dans la nuit, lorsque Sory vient tirer les images qu’il réalise au cours des nombreuses soirées qui animent les nuits de Bobo-Dioulasso au cours des années 1960 et 1970. Lorsqu’il n’est pas en ville, Sanlé Sory, accompagné de ses deux apprentis, sillonnent les villages de la vallée du Kou, jusqu’à la frontière malienne, afin d’organiser des soirées dans les buvettes locales. Il y réalise des portraits saisissants d’une vie nocturne rurale inédite. A peine les soirées terminées, les cultivateurs partent travailler leurs champs, dans leurs tenues de soirée yéyé.

Photographe prolifique, Sanlé Sory se distingue notamment de la concurrence des trois autres grands studios locaux, grâce à ses fonds peints, conçus par ses soins, que ce soit une ville moderne siglée Volta Photo, un bord de mer, une colonne antique ou une passerelle d’avion. Qu’ils soient posés ou en mouvement, ses sujets évoquent le quotidien lointain et mélancolique des villes enclavées du continent africain, mais aussi la vitalité de la jeunesse voltaïque. Son regard avisé documente avec une candeur non feinte à la fusion opérant entre tradition et modernité.

La fougue de cette jeunesse voltaïque se dissout progressivement dans l’indolence paternaliste des années de règne du Général Lamizana. Avec l’arrivée au pouvoir de Thomas Sankara en 1983, la société voltaïque se referme sur elle-même alors que la Haute-Volta devient Burkina Faso (« le pays des hommes intègres ») en 1984. L’allégresse semble s’évanouir, comme les visages plus marqués que photographie alors Sanlé Sory. Ceux-ci sont impassibles, voire résignés. La magie d’une époque disparaît inexorablement. Les images qu’il a saisies au cours des deux décennies précédentes sont les témoignages d’un âge d’or révolu dont la vigueur et l’insouciance ont été préservées à jamais grâce à ces négatifs au format 6x6.

Au fil des décennies, Sanlé Sory s’est imposé comme l’un des chroniqueurs majeurs de l’Afrique francophone, jusqu’à l’avènement du format 24x36 et de la couleur au cours des années 1980 mais aussi la démocratisation du métier de photographe en raison de l’irruption des appareils numériques, puis des smartphones, au cours des années 2000 et 2010. Témoin de plusieurs révolutions, techniques et politiques, Sanlé Sory n’en demeure pas moins l’un des grands noms de la photographie africaine, au même titre que ses illustres collègues maliens, ivoiriens, béninois ou congolais.

Photographe totalement investi dans son travail et sa passion, Sanlé Sory exerce encore aujourd’hui une activité de photographe ambulant, soixante ans après ses débuts de photographe. Ses images reflètent le regard sur le passé à travers le présent, afin de mieux comprendre le futur. Nimbées d’une élégance naturelle, ses photographies de Bobo-Dioulasso évoquent l’adage de Renoir selon lequel « plus c’est local, plus c’est universel ».

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